vendredi 23 septembre 2011

Tony Marsh : « Samedi soir, je supporterai les deux équipes »

Mardi 6 septembre. Ponsonby Road, numéro 285, dans le quartier à la mode de Ponsonby, à l’Ouest d’Auckland. Le rendez-vous avait été calé depuis longtemps au Salta Café pour retrouver Tony Marsh. Très pris par ses différentes activités, il nous a accordé une bonne heure de sa matinée. Décontracté, lunettes de soleil sur le nez, survêtement et tee-shirt, Tony est toujours aussi enjoué que pendant ses années clermontoises. Ne pas aller à sa rencontre pendant cette coupe du monde en Nouvelle-Zélande était impossible. International français à la double nationalité et vivant à Auckland, l’ancien trois-quarts centre de l’ASM est la personne idéale pour nous parler de cet événement et de son pays, mais aussi de sa deuxième patrie, la France. Et bien sûr du choc entre les All Blacks et les Bleus demain.

Tony, que deviens-tu ? Quelles sont tes activités aujourd’hui à Auckland ?
Aujourd’hui, je suis préparateur physique pour l’équipe de Squash de Nouvelle-Zélande. Cela fait huit mois que je les prépare. A côté, je suis coach personnel dans une salle de sport du centre-ville. Je créé des programmes sportifs pour les particuliers. Le Pastis café, ce n’est pas à moi mais je donne un coup de main. En rentrant de France en 2009, il y a deux ans, j’y suis allé le 14 juillet avec un ami qui m’a amené là-bas et je me suis dit, c’est pas mal, j’aimerais bien bosser ici pour continuer à parler et rencontrer des Français. Au début, je bossais un soir par semaine derrière le comptoir mais ce n’était pas un travail pour moi, c’était un plaisir. Je rentrais dans un autre monde, cela me rappelait un peu la France. Après la finale de 2007, je n’ai rien fait pendant un an, j’ai fait des études, puis je suis revenu à l’ASM comme préparateur physique pendant une année avant de repartir en Nouvelle-Zélande pour compléter mon cursus de préparateur physique.

Comment vis-tu cette coupe du monde qui a lieu dans ton pays ?
Disons que j’ai beaucoup de travail, je viens de déménager aussi donc je n’ai pas eu beaucoup de temps pour réfléchir et analyser tout ça. Depuis quelques semaines, l’ambiance, la tension est montée d’un cran. La coupe du monde est partout. Tout le monde avait hâte que cela commence. Moi aussi je participe un peu à l’événement car je commente les matches pour la télé maori et TV NZ et après je fais les analyses d’après-match de l’équipe de France.

«Il y a plusieurs années, dans les écoles, il était presque interdit de parler maori. Aujourd'hui, c'est l'inverse. »

As-tu revus tes anciens coéquipiers de l’équipe de France ?
Aurélien, Cédric Heymans, Damien Traille, j’ai joué avec eux comme avec Nallet, Papé, Poux ou Imanol avec qui on a fait le Grand Chelem en 2002. J’ai eu Aurélien par texto. On va essayer de se voir bientôt. J’irai bien les voir à Takapuna mais j’ai aussi un travail et il me faudrait plus de temps en ce moment.

Toi qui as joué trois-quarts centre comment analyses-tu l’explosion d’Aurélien Rougerie à ce poste ?
Aurélien a des capacités énormes même au centre, il a beaucoup progressé en attaque et au niveau de la distribution du jeu. En défense aussi, on me dit qu’il se place mieux. En attaque, c’est le type le plus dangereux en équipe de France. Pour les Bleus, il faudrait un numéro 10 de très haut niveau. Sans cela, cela va être très compliqué. Trinh-Duc est encore jeune. Il aurait fallu aussi un centre du niveau de Yannick Jauzion en termes d’expérience. Cela va beaucoup joué. Aurélien est là pour combler ce vide, il semble au-dessus des autres et il est habitué à ce type de match. Même si il ne l’avoue pas, il a un petit peu de pression sur ces épaules.

Comment vois-tu ce match entre les All Blacks et la France à l’Eden Park ?
Depuis que j’ai arrêté, j’ai pris un peu de recul, je suis moins le rugby. Je suis surtout les résultats de l’ASM sur internet, ce qui se passe au club aussi. Ici, je ne regarde pratiquement pas le rugby. Samedi, je ne supporterai pas plus la Nouvelle-Zélande que la France. J’aimerais beaucoup voir un bon match. Je ne pense pas du tout que les All Blacks soient favoris. Ce qui se passe avant la coupe du monde ne compte pas. On rentre dans un autre contexte, dans une autre pression. Les équipes doivent jouer trois matchs de haut niveau à la suite à partir des quarts de finale. Beaucoup d’équipes ne sont pas capables de le faire. Les Blacks, je ne sais pas, je me pose des questions. L’équipe de France, je ne pense pas. Avec les Bleus, ce sera tout ou rien mais ils sont encore capables de battre n’importe qui. On ne sait jamais comment ils vont jouer, c’est ça qui est fou ! Le Tournoi n’a pas été terrible mais cela ne veut pas dire grand-chose. Les All Blacks ont toujours la pression, ils sont habitués mais cette fois, ils l’ont un peu plus. Pour eux, gagner la coupe du monde, c’est aujourd’hui ou jamais.

Avec du recul et ton retour au pays, que représente le fait que tu aies la double nationalité ?
Le temps que j’ai passé en France m’a enrichit. J’ai beaucoup changé, j’ai muri, je ne suis plus la même personne que quand je suis parti de Nouvelle-Zélande il y a 15 ans. Je parle au niveau rugby mais surtout en tant qu’homme. Vivre à l’étranger dans un pays comme la France ou tout est différent. Je n’ai pas de regrets de n’avoir jamais joué avec la Nouvelle-Zélande. Comme pourrais-je ? Au contraire. Je suis retourné en France il y a deux mois pendant deux semaines. Quand tu vis dans un pays, tu n’apprécies pas forcément toutes les choses. Mais quand tu y reviens en vacances, tu as une autre approche, une autre vision des choses. Même les choses simples comme discuter, manger ou boire du vin.  A Clermont, j’ai mes habitudes, je reviens dans les mêmes cafés, les mêmes restaurants. J’aime discuter avec le patron. Comme à l’Atelier.

Quel est ton rapport avec la culture maorie qui semble en pleine explosion depuis quelques mois ?
Ma mère est maorie mais je n’ai pas grandi dans cet esprit. C’est bizarre en fait, car depuis que je suis rentré, cela a beaucoup changé. Cette culture s’est émancipée, on la voit dans les écoles, on le parle de plus en plus. Je parle Anglais et Français, mais je ne parle pas maori. C’est dommage et je veux apprendre cette langue. Après, cette culture n’est pas présente partout à Auckland. Cela dépend des quartiers. J’ai grandi dans le sud d’Auckland, dans un quartier beaucoup moins huppé que Ponsonby. Si je vis ici aujourd’hui, c’est que c’est plus facile à vivre au quotidien. C’est central, je suis près de mon travail. On a des soucis dans notre pays avec cette culture, c’est clair. Mais on la voit de plus en plus. Dans les magasins, on ne voyait jamais d’objets avec des symboles maoris avant. Aujourd’hui, on a une télévision qui donne un éclairage sur cette culture, sur ce que les maoris produisent. Dans les écoles, on pratique toujours les Hakas. Le Haka a beaucoup changé aussi. Avant c’était très classique, aujourd’hui tout a changé. Il y a plusieurs années, dans les écoles, il était presque interdit de parler maori, aujourd’hui, c’est l’inverse. Avec le traité de Waitangi, tout n’a pas été résolu. La population maorie est plus touchée par le chômage et les problèmes de santé que les autres. 

Le Haka, cela représente quoi pour toi ?
En 2003 en Australie, durant le match pour la troisième place (Victoire de la Nouvelle-Zélande 40 à 13), j’ai joué contre eux. Un jour, un joueur de l’équipe de France m’a dit que les All Blacks étaient différents des autres car ils ont ce maillot noir et ce Haka qui fait qu’il existe un truc autour d’eux. En 2003, pour cette troisième place, il y avait moins d’enjeu donc le Haka ne m’a pas fait grand-chose. Par contre, quand j’ai joué pour la deuxième fois contre eux en novembre 2004 au Stade de France pour mon dernier match avec les Bleus, c’était différent (Victoire de la Nouvelle-Zélande 45 à 6). Cela m’a marqué. Cela m’a surpris de le voir. En plus c’est Tana (Umaga) qui le menait. Même en tant que kiwi, j’étais étonné.

Tu n’avais pas envie d’être avec eux ?
Non, c’est peut-être l’un des meilleurs souvenirs de ma carrière. C’était mon dernier match en Bleu, je ne le savais pas encore, contre la Nouvelle-Zélande, au Stade de France. Il y avait les hymnes aussi. J’aurais pu chanter les deux. Mais j’étais très fier d’être néo-zed. Il y avait des gars avec qui j’avais joué, le staff All Blacks m’avait entraîné en club. Et d’un autre côté, j’étais très fier de jouer en équipe de France (1). Très fier d’avoir grandi ici, de jouer contre les All Blacks et de jouer sous le maillot de l’équipe de France.  On a pris 40 points mais j’étais sur un nuage pendant quelques jours. J’étais comme un gamin.

Propos recueillis à Auckland par Guillaume Bonnaure. Photos G. B.
(1)    Tony Marsh compte 21 sélections avec l’équipe de France.
L'intégralité de cette interview est à lire dans le dernier Rugby Infos Clermont.
 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire